Parvenir à visualiser le flux sanguin qui circule dans le cerveau, depuis les artères principales jusqu’aux plus petits vaisseaux, sans aucune intervention chirurgicale : c’est le défi qu’une nouvelle technique d’imagerie en cours de développement à Polytechnique Montréal pourrait relever. Elle permettrait de détecter les signes avant-coureurs de démence.

Bo-doum, bo-doum, bo-doum… Le cœur envoie le sang dans les artères à une vitesse phénoménale, de l’ordre du mètre par seconde. Le réseau sanguin s’étire ensuite dans toutes les directions à partir du cœur, afin d’irriguer le corps de la tête aux pieds. Plus le sang s’éloigne du cœur, plus le réseau s’affine. Le sang passe ainsi des artères aux artérioles, puis des artérioles aux plus petits vaisseaux sanguins, plus fins qu’un cheveu : les capillaires. C’est là que le sang circule le plus lentement (de l’ordre d’un millimètre par seconde), et perd son rythme pulsé, appelé « pulsatilité ». Il permet ainsi d’alimenter continuellement les organes en nutriments et en oxygène, et de les débarrasser des déchets qu’ils produisent. Mais comment le sang perd-il en vitesse et en pulsatilité ? C’est l’élasticité des artères qui en est responsable. Au passage du sang, celles-ci se dilatent afin de ralentir sa course, empêchant le sang de déferler tel un torrent dans tous les organes et protégeant ainsi les capillaires, trop fins pour recevoir un flux d’une telle puissance.

Mon projet de recherche vise à développer une nouvelle méthode d’imagerie permettant de visualiser la pulsatilité dans l’ensemble du cerveau, à la fois dans les petits et les gros vaisseaux. En effet, avec l’âge et le développement de certaines maladies cardiovasculaires comme l’athérosclérose, les artères perdent de leur élasticité, entraînant une augmentation de la pulsatilité en aval. À l’usure, les capillaires sont peu à peu endommagés et se rompent, telle une digue malmenée par une tempête, induisant de minuscules mais multiples hémorragies dans le cerveau. Si ces dommages cérébraux s’accumulent, ils peuvent entraîner avec le temps des maladies neurodégénératives comme la démence, une maladie dont souffrent aujourd’hui plus de 432 000 aîné.e.s au Canada. Cette augmentation de pulsatilité dans l’ensemble du cerveau est malheureusement indétectable avec les méthodes d’imagerie médicale actuelles : elle ne peut être mesurée qu’indirectement, en amont au niveau des artères principales, ou en aval lorsque les capillaires ont déjà été endommagés.

La nouvelle méthode que je développe a pour objectif de combler ce vide, afin de mesurer la pulsatilité dans l’ensemble du cerveau pour repérer les signes avant-coureurs de démence et agir avant que les dommages ne soient faits. Pour ce faire, je me suis appuyée sur une méthode ultrasonore développée en 2015 par une équipe de chercheur.euse.s français.e.s : la Microscopie de Localisation Ultrasonore (ULM). Elle consiste à utiliser en petite quantité des agents de contraste appelés microbulles. Après injection, entraînées par le flux sanguin, ces microbulles se déplacent dans tout le système vasculaire, jusqu’aux capillaires, pour ensuite être éliminées par la respiration après une dizaine de minutes. De la même façon qu’un contrôleur aérien peut suivre sur des images satellites le déplacement des avions dans le ciel, les microbulles peuvent être suivies dans tout le cerveau grâce à un système ultrasonore capable d’acquérir des milliers d’images par seconde. Les microbulles sont ensuite localisées une à une avec une très grande précision sur chaque image pour retracer leurs parcours. Tous les chemins que les microbulles ont parcourus forment ensemble une carte extrêmement détaillée des vaisseaux sanguins.

Cependant, l’ULM ne permet d’obtenir, après 10 minutes d’acquisition, qu’une unique image de l’ensemble des vaisseaux sanguins du cerveau. Au cours de mon projet de recherche, j’ai adapté l’ULM afin de la rendre dynamique en synchronisant les images avec le rythme cardiaque. J’obtiens alors non plus une unique image, mais un film complet de plusieurs cycles cardiaques, où il est possible de voir les microbulles se promener dans tout le cerveau au rythme du pouls. Je peux ainsi en extraire une mesure de la pulsatilité dans n’importe quel vaisseau sanguin.

J’ai développé et testé cette nouvelle méthode, appelée Microscopie de Localisation Ultrasonore Dynamique (DULM), chez le rat, le chat et la souris. Les résultats sont pour le moment très encourageants : j’ai pu mesurer la pulsatilité chez ces trois espèces dans des vaisseaux de moins de 100 µmReste à savoir si DULM est suffisamment sensible pour parvenir à détecter les signes précurseurs de démence. Pour répondre à cette question, je commencerai bientôt une étude effectuée sur des souris dont la carotide a été rigidifiée, pour voir si je parviens à repérer une augmentation de pulsatilité avec cette méthode. Comme elle ne nécessite aucune intervention chirurgicale et qu’elle utilise des microbulles déjà approuvées chez l’homme, notamment pour l’échographie cardiaque, j’espère pouvoir appliquer rapidement DULM en clinique afin de surveiller une augmentation de pulsatilité chez des patient.e.s âgé.e.s ou à risque. Un traitement médical adapté pourrait alors être mis en place pour la diminuer, afin de prévenir le déclenchement de la maladie.

Cet article a été réalisé par Chloé Bourquin, doctorante en génie biomédical (Polytechnique Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots.