À l’ère du séquençage en temps réel, aucun protocole faisant appel à cette technologie n’est encore implémenté pour les tests de diagnostic en médecine clinique. Or, chez un quart des enfants atteints de cancer, la maladie est déjà au stade métastatique au moment du diagnostic, faisant du temps d’action un facteur pronostique de survie. Le séquençage par nanopores pour le diagnostic et la classification des leucémies, permettrait de s’affranchir du délai de latence entre l’apparition des premiers symptômes et le début d’un traitement personnalisé.

Nathan, 8 ans, arrive à l’hôpital sur le conseil de sa médecin de famille à la suite d’une pâleur de peau et d’une grande fatigue. Une prise de sang orientera le premier diagnostic vers une suspicion de leucémie. Un rendez-vous est alors pris pour le prélèvement, en salle opératoire, d’un morceau de moelle osseuse, sur lequel une batterie de tests sera réalisée. Le diagnostic exact est rendu deux semaines plus tard : Nathan est atteint d’une leucémie lymphoblastique aiguë. Il commence aussitôt la chimiothérapie. D’autres tests spécifiques orienteront ensuite  l’équipe médicale vers le traitement adapté au profil de Nathan, dont la maladie est déjà au stade avancé.

Le séquençage s’introduit peu à peu dans les protocoles de soins pour les personnes atteintes de leucémie. Toutefois, cette technique est pour le moment réservée au diagnostic et à l’analyse des cas les plus compliqués, notamment à cause de son coût, qui s’élève à des milliers de dollars par patient.e, mais également en raison de l’encombrement matériel qu’elle engendre. Or, l’entreprise anglaise de biotechnologie Oxford Nanopore Technologies, issue de l’Université d’Oxford, a commercialisé en 2016 la première technologie de séquençage portable, de la taille d’une clé USB : le MinION. Ce dispositif, en plus d’être de petite taille, facilement transportable et peu cher, est très sensible et permet d’analyser les données en temps réel. L’utilisation de cet outil pour le diagnostic des leucémies pédiatriques fournirait les informations nécessaires à l’équipe médicale pour qu’ils puissent valider le sous-type de leucémie de l’enfant et choisir le traitement adapté à son profil en quelques heures, voire quelques minutes, pour une centaine de dollars.

Mon projet a pour objectif d’intégrer la technologie par nanopores dans le parcours standard de diagnostic des leucémies pédiatriques au CHU Sainte-Justine, à Montréal, afin de permettre une classification et une orientation thérapeutique ultrarapides et précises à moindre coût. Les études réalisées avec la génération de séquenceurs précédente ont mis en évidence les réarrangements moléculaires caractéristiques des leucémies et ont démontré la similarité des profils de patient.e.s ayant les mêmes sous-types. Cependant, les technologies utilisées actuellement ne permettent pas l’analyse des données brutes de séquençage en temps réel. Ainsi, les protocoles utilisés en clinique s’étalent en moyenne sur trente à cinquante jours et sont donc réservés aux cas les plus complexes qui présentent des réarrangements particuliers ou des sous-types peu répandus.

La dimension « temps réel » de la troisième génération de séquenceurs, dont fait partie le MinION, change la donne pour une application en clinique à plus large échelle. Ces séquenceurs peuvent également mettre en évidence les modifications épigénétiques, qui sont des modifications qui interviennent dans le nucléotide, la base de construction du vivant, et qui changent la configuration des molécules. Certaines de ces modifications sont bien connues et sont considérées comme des marqueurs pronostiques de réponse aux traitements. Cette analyse épigénétique, qui était jusqu’alors très peu réalisée en clinique, devient maintenant accessible, ce qui ouvre le champ des possibles quant à l’identification de nouveaux marqueurs caractéristiques de certains sous-types de leucémies pouvant servir de nouvelles cibles thérapeutiques.

La course au diagnostic en temps réel est donc lancée. Elle repose sur l’utilisation de nouveaux algorithmes d’apprentissage machine appliqués au signal électrique brut généré par le MinION et qui permettent de mettre en évidence un grand nombre de spécificités en un temps record. Nos premiers résultats indiquent qu’il est possible de classifier les leucémies pédiatriques en moins de dix minutes de séquençage. Cependant, beaucoup de paramètres restent à optimiser, comme le choix des algorithmes et hyperparamètres, ou celui du support biologique. Quelques études montrent qu’il est possible d’établir le profil complet de la personne malade en utilisant seulement le sang périphérique si celui-ci répond à certains critères. L’utilisation du sang en lieu et place de la moelle osseuse permettrait d’éviter un processus douloureux et de s’affranchir du temps de latence entre la première visite et le début du traitement adapté. Ainsi, Nathan pourrait commencer son traitement sur mesure le jour de la réception des résultats de la prise de sang, ce qui augmenterait de façon importante ses chances de rémission.

L’application de ce protocole dans le cadre de la procédure normalisée de prise en charge des patient.e.s en clinique ouvre un peu plus la voie à la médecine personnalisée en temps réel, tout en priorisant le confort des malades, des familles aidantes et de l’équipe soignante. À terme, un protocole similaire pourrait servir pour diverses maladies avec des profils distinguables, comme les lymphomes, les maladies inflammatoires et bien d’autres.

Cet article a été réalisé par Mélanie Sagniez, doctorante en bioinformatique au Département de biochimie et médecine moléculaire (Université de Montréal), avec l’accompagnement de Marie-Paule Primeau, conseillère en vulgarisation scientifique, dans le cadre de notre initiative « Mon projet de recherche en 800 mots ».