15 juin 2022

Modéliser le cerveau pour décortiquer l’apprentissage biologique : quand les neurosciences mènent à une meilleure IA

Comment le cerveau apprend-il ? Cette question millénaire est au cœur des recherches d’Eilif B. Muller, professeur adjoint de neurosciences (Université de Montréal) sous octroi IVADO. Celui-ci a récemment franchi une étape importante dans sa quête d’une réponse avec la publication dans Nature Communications d’un article qui fait grand bruit. L’étude qui y est présentée a une portée considérable pour notre compréhension du cerveau, mais aussi, remarquablement, pour l’IA.

Qui a mené l’étude? En tant que chercheur principal, le prof. Muller a dirigé une équipe de recherche internationale, dont la plupart des membres font partie du Blue Brain Project (BBP), où le prof. Muller a occupé le poste de directeur adjoint avant de s’installer à Montréal. Ce centre de recherche de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse) est l’un des précurseurs des neurosciences in silico, qui s’appuient sur des données expérimentales pour produire des simulations informatisées de tissus cérébraux.

Quelle problématique aborde-t-elle? L’apprentissage est associé aux neurones pyramidaux du néocortex. Plus précisément, les synapses – soit les points de contact entre les neurones – peuvent subir des changements durables à la suite de différents stimuli. On appelle « plasticité synaptique » ce processus adaptatif, qu’on pense être le substrat de l’apprentissage. Malheureusement, les données expérimentales relatives à la plasticité synaptique sont fragmentées et limitées à quelques types de neurones pyramidaux. Cela entrave considérablement l’étude des mécanismes d’apprentissage néocorticaux.

Quel était l’objectif? Le prof. Muller et son équipe ont entrepris de reconstruire virtuellement le cortex somatosensoriel d’un jeune rat, et ce, dans le but de modéliser la plasticité synaptique, telle que contrainte par les fluctuations de la concentration de calcium. En d’autres termes, ils ont élaboré un modèle néocortical in silico, entraîné à l’aide de données expérimentales qui circonscrivent les effets de la concentration de calcium sur la plasticité synaptique de quelques types de neurones pyramidaux.

« Cela ouvre un monde de nouvelles directions pour l’enquête scientifique sur la façon dont nous apprenons », a déclaré le coauteur principal, le professeur Eilif Muller. « Les neurones ont la forme d’un arbre et les synapses sont les feuilles sur les branches, a expliqué le professeur Muller, coauteur principal de l’étude. Les approches antérieures pour modéliser la plasticité ont ignoré cette structure arborescente, mais maintenant nous avons les outils informatiques pour tester l’idée que les interactions synaptiques sur les branches jouent un rôle fondamental dans le guidage de l’apprentissage in vivo. Cela a des implications importantes pour la compréhension des mécanismes des troubles neurodéveloppementaux tels que l’autisme et la schizophrénie, mais aussi pour la mise au point de nouvelles approches puissantes de l’IA inspirées des neurosciences ».

Quels ont été les résultats? Le modèle a pu reproduire avec succès les résultats expérimentaux décrits par ses jeux de données d’entraînement. Plus important encore, lorsque le modèle a été appliqué à des types de neurones pyramidaux auxquels il n’avait pas été précédemment exposé, il a pu générer des prédictions de plasticité synaptique calcico-dépendante qui étaient compatibles avec les données expérimentales existantes. Le prof. Muller et son équipe ont également testé leur modèle en prenant en compte une concentration physiologique de calcium. Ils sont arrivés à des résultats de plasticité sensiblement différents de ceux rapportés par les études in vitro antérieures, qui se fondent généralement sur des concentrations de calcium beaucoup plus élevées.

Quelles sont les retombées? Le modèle de plasticité mis de l’avant dans l’étude montre que l’on peut avoir recours aux méthodes in silico pour combler efficacement les lacunes de notre savoir expérimental. De plus, le prof. Muller et ses collègues ont rendu le modèle accessible gratuitement sur la plateforme libre Zenodo, ce qui permettra à d’autres scientifiques de mettre au point leurs propres modèles.

Qu’est-ce que cela signifie pour l’IA? En améliorant notre compréhension de l’apprentissage biologique, cette étude ouvre la voie au développement d’une meilleure IA, c’est-à-dire une IA dont les capacités tendent de plus en plus vers celles du cerveau humain.

Le rôle d’IVADO

En 2020, un octroi d’IVADO a rendu possible le recrutement du prof. Muller par l’Université de Montréal. Par la suite, des fonds de démarrage alloués par IVADO ont permis au neuroscientifique de lancer son laboratoire, le Architectures of Biological Learning Lab (ABL-Lab). Grâce à ce soutien financier, le Dr Muller a pu compléter la recherche en collaboration avec le BBP.