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27 mars 2019

Yoshua Bengio, directeur scientifique d’IVADO, reçoit le prix Turing

Yoshua Bengio, directeur scientifique d’IVADO, professeur d’informatique à l’UdeM et directeur scientifique du Mila, est colauréat du prix annuel A. M. Turing avec Geoffrey Hinton et Yann LeCun, assorti d’une bourse de un million de dollars à partager pour révolutionner l’intelligence artificielle.

Yoshua Bengio est habitué aux distinctions. Et pourtant, quand le professeur d’informatique de l’Université de Montréal a appris que la plus grande association internationale vouée à l’informatique l’avait nommé colauréat du prix A. M. Turing d’une valeur de un million de dollars, il en est presque tombé à la renverse.

«Le prix A. M. Turing est à la cime des prix et reconnaissances dans le monde de l’informatique. On le considère comme le prix Nobel de la discipline», explique Yoshua Bengio, âgé de 55 ans, à propos de l’annonce faite aujourd’hui par l’Association for Computing Machinery (ACM) de New York.

«Inutile de dire que cela a été un choc quand j’ai appris la nouvelle.»

Yoshua Bengio partage ce prix annuel avec ses collègues Geoffrey Hinton, de l’Université de Toronto, et Yann LeCun, de l’Université de New York. Créé en hommage au mathématicien britannique Alan M. Turing, le prix est financé par Google. Il sera officiellement remis aux chercheurs à l’occasion du congrès annuel de l’ACM, qui se déroulera le 15 juin à San Francisco.

L’association qui a qualifié Yoshua Bengio et ses collègues de «pères de la révolution de l’apprentissage profond» a été créée en 1947 et compte près de 100 000 membres. En décernant ce prix aux trois chercheurs, elle souligne leurs avancées relatives aux fondements conceptuels et à l’ingénierie qui ont fait des réseaux neuronaux profonds une composante essentielle de l’informatique.

Les «réseaux neuronaux» font référence à des systèmes composés de couches d’éléments informatiques relativement simples appelés «neurones» qui sont simulés par ordinateur. Ces «neurones», qui ressemblent plus ou moins à ceux du cerveau humain, s’influencent les uns les autres grâce à des connexions pondérées. En modifiant la pondération des connexions, il est possible de modifier les calculs effectués par le réseau neuronal.

Dès le début de leurs recherches, Yoshua Bengio et ses collègues ont reconnu l’importance de créer des réseaux profonds constitués de nombreuses couches, d’où l’utilisation du terme «apprentissage profond». En informatique traditionnelle, les programmes donnent à l’ordinateur des instructions précises à suivre étape par étape. En apprentissage profond, un sous-domaine de la recherche en intelligence artificielle, on ne dit pas explicitement à l’ordinateur comment effectuer une tâche donnée, comme classer des objets. On utilise plutôt un algorithme d’apprentissage pour extraire des schémas de données qui relient les données entrantes, comme les pixels d’une image, jusqu’à obtenir le résultat souhaité, tel que la catégorie «chat».

L’enjeu pour les chercheurs est de créer des algorithmes d’apprentissage efficaces qui généralisent bien à de nouvelles situations, et pour cela ils explorent des principes qui pourraient à la fois expliquer l’intelligence humaine et animale, et aussi être utilisés pour construire des machines intelligentes. Même si l’utilisation des réseaux neuronaux artificiels pour aider les ordinateurs à reconnaître les schémas et à simuler l’intelligence humaine a été introduite dans les années 80, au début des années 2000, Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Yann LeCun faisaient partie d’un petit groupe de chercheurs qui préconisaient cette approche qui alors n’était pas à la mode.

Un premier accueil mitigé

Si leurs efforts pour raviver l’intérêt de la communauté de l’intelligence artificielle pour les réseaux neuronaux ont été accueillis avec scepticisme au départ, leurs idées ont récemment abouti à de grandes avancées technologiques et leur méthodologie est maintenant reconnue comme le principal paradigme de l’intelligence artificielle, ce qui a permis de faire de grands progrès quant à des problèmes de longue date en vision par ordinateur, en reconnaissance vocale et en compréhension du langage naturel, par exemple en traduction automatique.

«À l’heure actuelle, l’intelligence artificielle est l’un des domaines scientifiques qui connaissent l’évolution la plus rapide et l’un des sujets les plus abordés dans la société, souligne Cherri M. Pancake, président de l’ACM. La croissance de l’intelligence artificielle et l’intérêt qu’elle suscite viennent, en grande partie, des récentes percées en apprentissage profond dont Yoshua Bengio, Geoffrey Hinton et Yann LeCun ont posé les fondements.»

«Ces technologies sont utilisées par des milliards d’individus. Toute personne qui a un téléphone intelligent dans sa poche peut essayer concrètement des outils de traitement du langage naturel et de la vision par ordinateur très perfectionnés qui n’existaient pas il y a à peine 10 ans. En plus des produits que nous employons au quotidien, les progrès en apprentissage profond ont donné aux scientifiques de nouveaux outils puissants dans des domaines allant de la médecine à l’astronomie en passant par la science des matériaux.»

Pour Yoshua Bengio, qui est officier de l’Ordre du Canada, membre de la Société royale du Canada et lauréat du prix Marie-Victorin, le prix A. M. Turing est une sorte de consécration pour avoir poursuivi ses recherches sur les réseaux neuronaux toutes ces années, malgré le scepticisme de la communauté scientifique.

«Ce prix pour Geoffrey Hinton, Yann LeCun et moi, c’est d’abord et avant tout la reconnaissance de la part de la communauté scientifique en informatique de l’importance des réseaux de neurones et de l’apprentissage profond pour l’intelligence artificielle, donc du domaine qui nous a passionnés depuis nos débuts en recherche et qui reçoit maintenant un sceau d’approbation ultime. Sachant que c’était un secteur qui semblait mal vu par l’élite informatique il y a seulement quelques années, c’est un message très fort.»

Des collègues de longue date

Les trois chercheurs travaillent ensemble depuis longtemps. Yann LeCun a fait ses études postdoctorales sous la supervision de Geoffrey Hinton et, au début des années 90, il a collaboré avec Yoshua Bengio au Bell Labs quand le laboratoire était encore détenu par AT&T. En plus de s’influencer les uns les autres dans leurs recherches au quotidien, ils continuent d’explorer les croisements entre l’apprentissage automatique, les neurosciences et les sciences cognitives, tout particulièrement en participant au programme Apprentissage automatique, apprentissage biologique du CIFAR (anciennement connu sous le nom d’Institut canadien de recherches avancées).

Contrairement à Geoffrey Hinton, qui est vice-président de Google, et à Yann LeCun, qui est vice-président et scientifique en chef de l’intelligence artificielle à Facebook, Yoshua Bengio est d’abord un professeur de l’Université de Montréal. Bien qu’il maintienne des liens importants avec le secteur des technologies, il se sent chez lui à l’UdeM et a récemment aidé à inaugurer le nouveau siège de Mila dans le quartier du Mile-Ex à Montréal. Mila est l’institut d’apprentissage machine renommé qu’il a fondé et dont il est le directeur scientifique.

«Nous avons une chance exceptionnelle à Montréal de pouvoir compter sur un chercheur de ce calibre dont les idées transforment notre monde. Par son approche unique, notamment en réunissant deux universités [UdeM et McGill] dans le même institut, Yoshua Bengio contribue à bâtir ici un riche écosystème qui stimule à la fois les avancées scientifiques et l’essor économique du Québec», souligne Valérie Pisano, pdg de Mila.

Le recteur de l’UdeM, Guy Breton, poursuit: «Toute la communauté de l’Université de Montréal se joint à moi pour féliciter Yoshua Bengio pour l’obtention de ce prix, qui récompense ses avancées scientifiques exceptionnelles. Ses réalisations sont d’autant plus remarquables que le professeur Bengio est non seulement un scientifique visionnaire dont les découvertes continuent d’avoir des retombées sur notre monde, mais aussi un formidable pédagogue, un chercheur engagé socialement, un excellent vulgarisateur et un infatigable promoteur des forces de Montréal et de sa communauté.»

«Rien de prévu pour le moment»

«Il est tout à fait juste que le prix A. M. Turing ne récompense pas une seule personne, mais qu’il soit partagé par trois chercheurs», précise Yoshua Bengio, avant d’ajouter qu’il n’a rien de prévu pour le moment et qu’il ignore ce qu’il fera de la somme rattachée au prix. «La communauté que nous avons contribué à créer autour de l’apprentissage profond possède effectivement une profonde culture du partage et de la collaboration et nous avons tous les trois donné l’exemple au cours des dernières décennies», déclare-t-il.

Peut-il s’imaginer qu’un jour un ordinateur gagnera le prix A. M. Turing pour avoir conçu une technologie par lui-même?

«Je ne crois pas, rétorque-t-il, tout comme une automobile ne gagnerait pas un prix pour avoir roulé plus vite que le meilleur pilote du monde.»

Trois avancées techniques de Yoshua Bengio

Modèles probabilistes de séquences: dans les années 90, Yoshua Bengio a combiné les réseaux neuronaux avec les modèles probabilistes de séquences, comme les modèles cachés de Markov. Son idée a été intégrée à un système utilisé par AT&T/NCR pour lire les chèques écrits à la main et considérée comme le summum de la recherche en réseau neuronal à cette époque. Aujourd’hui, les systèmes de reconnaissance vocale en apprentissage profond élargissent ce concept.

Plongements de mots à grandes dimensions et mécanisme d’attention: en 2000, Yoshua Bengio a rédigé l’article décisif A Neural Probabilistic Language Model, qui présentait les plongements de mots à grandes dimensions comme une représentation de la signification des mots. Sa réflexion a eu des incidences majeures et durables sur les tâches de traitement du langage naturel, comme la traduction du langage, la réponse aux questions et la réponse aux questions visuelles. Son équipe a aussi introduit une forme de mécanisme d’attention qui a mené à des avancées en traduction automatique et a constitué une composante importante du traitement séquentiel pour l’apprentissage profond.

Réseaux antagonistes génératifs: depuis 2010, les articles de Yoshua Bengio sur l’apprentissage profond génératif et, en particulier, sur les réseaux antagonistes génératifs qu’il a conçus avec Ian Goodfellow ont révolutionné la vision par ordinateur et l’infographie. Dans une application fascinante de son travail, l’ordinateur peut véritablement créer des images originales qui rappellent la créativité que l’on considère comme la marque de l’intelligence humaine.

Source: Association for Computing Machinery.

À propos du prix A. M. Turing et de l’ACM

Le prix A. M. Turing a été créé en hommage à Alan M. Turing, le mathématicien britannique qui posa les fondements et les limites mathématiques de l’informatique et qui a contribué grandement à la création de la cryptanalyse d’Enigmap des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis sa création en 1966, le prix récompense des scientifiques et des ingénieurs en informatique qui ont su créer des systèmes et poser des fondements théoriques sous-jacents ayant permis de propulser l’industrie de la technologie de l’information.

L’Association for Computing Machinery (ACM) est le plus grand regroupement international de corps d’enseignants et de scientifiques en informatique. Elle réunit les professeurs, les chercheurs et les professionnels spécialisés en informatique pour susciter le dialogue, partager des ressources et résoudre les enjeux du domaine de l’informatique. L’ACM renforce la voix collective des professions de l’informatique en établissant un leadership fort, en faisant la promotion de normes strictes et en reconnaissant l’excellence technique. Elle soutient la croissance professionnelle de ses membres en leur offrant des occasions d’apprentissage permanent, de perfectionnement professionnel et de réseautage professionnel.

Source du communiqué : Université de Montréal